Laboratoire d’Europe-Strasbourg, 1880-1930, ensemble d’expositions à travers la ville (jusqu'au 25 février) s’est focalisé sur une période de l’histoire qui a défini un « modèle » strasbourgeois. L’université a joué un rôle prépondérant dans l’ébullition culturelle et intellectuelle de cette époque. Trois questions à Roland Recht, historien de l’art et commissaire général de l’exposition Laboratoire d’Europe - Strasbourg, 1880-1930.
En quoi la création de l’Université Kaiser Wilhelm, au lendemain de l’annexion, marque-t-elle un tournant dans la conception même de l’université ?
A la fin du XIXe siècle, on assiste en Allemagne à un changement majeur du modèle d’enseignement universitaire. La nouvelle doctrine allemande veut en faire un véritable lieu de culture, de « Bildung », alors qu’il ne s’agissait auparavant que de préparer la bourgeoisie à partir en voyage ! L’université devient donc un lieu de formation, où enseignement et recherche se côtoient, se complètent... ce qui constitue également une nouvelle façon de voir les choses.
En 1918, à la fin des hostilités, l’Université de Strasbourg a continué sur sa lancée... car il s’agissait maintenant pour la France de faire encore mieux que l’Allemagne !
L’Université impériale de Strasbourg, qui se veut une vitrine de l’Empire dans le nouveau Land, met ce modèle en place dès sa création. L’enseignement s’organise autour du Seminar, à la fois lieu d’enseignement, bibliothèque, laboratoire de recherche, voire musée... et mode de transmission interactive du savoir et de la formation à de petits groupes d’étudiants réunis autour d’un professeur. De gros moyens sont disponibles pour mettre tous ces concepts en œuvre. En témoigne la construction d’un campus fastueux, mais aussi les importantes collections constituées par les scientifiques de l’époque, en botanique, zoologie, minéralogie, sciences naturelles ou encore en archéologie...
Quel a été l’impact de cette université sur le développement de la ville ?
Ce sont les bâtiments de l’université qui ont tracé les premiers axes du quartier impérial. La Neustadt va se développer à partir de ces axes. De nombreuses villas ont été bâties aux alentours, destinées notamment aux professeurs, recrutés parmi les meilleurs d’Allemagne.
Ce sont les bâtiments de l’université qui ont tracé les premiers axes du quartier impérial
Comme tout est à construire, ils ont même la chance de pouvoir participer à la conception des bâtiments universitaires, en fonction des besoins de leurs enseignements ! A l’époque, certes, seule la grande bourgeoisie allait à l’université. Mais les effectifs ont augmenté de manière significative jusqu’en 1914. L’Université de Strasbourg était florissante, avait une très bonne réputation, elle attirait les élites.
Et qu’est devenu ce modèle lors du retour à la France ?
En 1918, à la fin des hostilités, l’Université de Strasbourg a continué sur sa lancée... car il s’agissait maintenant pour la France de faire encore mieux que l’Allemagne ! Pour surpasser les Allemands, on a attiré des enseignants français de renom, comme les historiens Marc Bloch et Lucien Febvre qui ont créé à Strasbourg la revue des Annales d’histoire économique et sociale. L’Université de Strasbourg jouissait alors d’une situation matérielle unique en France et d’un environnement intellectuel remarquable par rapport aux autres universités françaises. Mais elle a fini, à la fin des années 1920, par être touchée par la crise économique et a dû réduire ses ambitions. Elle a souffert aussi d’une crise intellectuelle et morale, qui a attiré ses enseignants vers la capitale, vers la Sorbonne et le Collège de France.
Myriam Niss
Au cours du XIXe siècle, on observe une présence de plus en plus marquée des sciences expérimentales au seindes universités. Les collections universitaires témoignent de cette évolution des pratiques pédagogiques et de recherche.
« Pour cette exposition, les musées ont voulu prendre en compte les collections de l’université : c’était une belle opportunité de donner à voir à un large public ce patrimoine dispersé dans les différents instituts », explique Sébastien Soubiran, directeur-adjoint du Jardin des sciences et membre du comité scientifique de l’exposition. Rangés par thématique scientifique, les objets ont été sélectionnés aussi comme des œuvres d’art , pour leur esthétique : invertébrés marins de verre soufflés par les Blaschka (et acquis en 1890 par le directeur de l’Institut de zoologie), moulage d’un squelette complet de reptile marin (utilisé dans les travaux pratiques en amphithéâtre), modèle en plâtre de météorite présentant des traces de fusion et ayant servi de démonstration scientifique lors des cours de pétrographie, entre 1878 et 1885, modèles botaniques en papier mâché de Brendel, tirages en plâtre de sculptures grecques et romaines... « Ce n’est qu’un aperçu de collections très importantes, un extrait qui témoigne d’une mobilisation des savoirs et savoir-faire, d’innovations au service de la pédagogie et de la recherche et d’une imagination féconde qui a fait entrer les objets d’étude dans l’université, a su reproduire ce que l’on ne peut pas déplacer, par exemple les sites archéologiques, ou encore a su montrer de manière exhaustive la diversité de la nature... »
1880-1930 : à Strasbourg, une période de mutation, de création et d’élaboration d’un monde nouveau. Le dictionnaire culturel de Strasbourg 1880-1930 visite de façon quasi exhaustive les institutions, la vie sociale, la recherche, les arts et les acteurs culturels de cette époque fertile. Médecine, histoire, archéologie, physique quantique, en passant par la biologie, la sismologie ou encore la poésie, tous les domaines de la culture et de la connaissance sont explorés au fil de 750 notices, souvent illustrées, proposées par 150 auteurs sous la direction de Roland Recht et de Jean-Claude Richez, avec la collaboration d’Isabelle Laboulais.