mai 2017

La Neustadt, un patrimoine vivant

En janvier 2016, la Ville de Strasbourg a déposé un dossier de candidature pour que la Neustadt soit inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Construit à l’issue de la guerre de 1870 afin de constituer la vitrine de l’Empire allemand aux portes de la France, ce quartier a connu une histoire qui se confond avec l’Histoire. Cathy Blanc-Reibel, doctorante en sociologie urbaine* étudie comment ses habitants arrivent à concilier la dimension patrimoniale de leur cadre de vie avec leur vie quotidienne.

La rue de Reims, au cœur de la Neustadt. © Pascal Bastien
La rue de Reims, au cœur de la Neustadt. © Pascal Bastien

Contrairement aux idées reçues, ce quartier n’était pas mal-aimé des Strasbourgeois

L’intérêt pour la Neustadt et la prise de conscience de la nécessité de la préserver sont intervenus dans les années 1970, soit relativement rapidement après sa construction. « Ceci démontre que, contrairement aux idées reçues, ce quartier n’était pas mal-aimé des Strasbourgeois, sous prétexte qu’il avait été bâti par les Allemands », note Cathy Blanc-Reibel. Les édifices majeurs de l’époque allemande ont progressivement été classés, à partir de 1975. Le périmètre retenu par la Ville dans sa candidature auprès de l’Unesco2 fait désormais l’objet d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV).

La Neustadt a pour particularité d’avoir connu une grande stabilité dans le temps, ce qui lui confère, aujourd’hui encore, authenticité et intégrité. Ceci tient à la nature même des bâtiments qui y ont été construits : des immeubles bourgeois de 4 à 5 étages à la pointe de la technologie de l’époque. La qualité de fabrication, les grands espaces intérieurs et les équipements de confort modernes leur ont permis de bien supporter l’épreuve du temps.

Comment habiter le patrimoine ?

Au fil des générations qui s’y sont succédées, des aménagements sont cependant intervenus. Certains espaces ont changé de destination, notamment ceux qui étaient autrefois dévolus au personnel de maison. Autre exemple, les jardins d’agrément à l’avant (« Vorgarten »), accueillent désormais conteneurs de tri sélectif, boîtes aux lettres ou bicyclettes. Dans certains appartements, la cuisine a été rapprochée du salon pour mieux répondre au mode de vie de ce début de XXIe siècle. Ces « pratiques ordinaires », comme les décrit Cathy Blanc-Reibel, tentent de concilier deux injonctions : le respect de la valeur patrimoniale des constructions et leur usage au quotidien.

Un critère majeur semble également entrer en ligne de compte : la notion de « soin » porté par les habitants à leur patrimoine

« À l’instar de la Cité radieuse de Le Corbusier, doit-on continuer à vivre comme à l’époque d’origine du bâtiment ou bien privilégier l’état d’esprit de modernité qui prévalait à sa construction et qui permet davantage d’adaptation aux besoins actuels ? » s’interroge la chercheuse. Si les considérations financières et les aspects réglementaires fournissent un cadre, un critère majeur semble également entrer en ligne de compte, selon ses observations : la notion de « soin » porté par les habitants à leur patrimoine. Certains d’entre eux, parce qu’ils ont toujours vécu dans des logements anciens, y sont très sensibles et y accordent beaucoup d’importance.

Les « Vorgarten », jardins d’agrément à l’avant des bâtiments, remplissent de multiples fonctions. © Pascal Bastien
Les « Vorgarten », jardins d’agrément à l’avant des bâtiments, remplissent de multiples fonctions. © Pascal Bastien

« Pour respecter la valeur patrimoniale, diverses stratégies se mettent en place : rechercher dans les archives les matériaux et l’aspect d’origine du bâtiment ; faire appel aux souvenirs des personnes qui y ont habité ; respecter l’esprit de « modernité » de la construction et ainsi l’adapter au goût du jour. » La pluralité de points de vue au sein d’une copropriété pousse à établir des compromis entre sensibilités patrimoniales différentes et permet ainsi d’éviter une muséification des bâtiments ou à l’inverse, une trop grande modernisation.

Les craintes quant à l’institutionnalisation de ce patrimoine sont en grande partie dissipées par ces modes de fonctionnement. Au final, le meilleur moyen de conserver la Neustadt n’est-il pas qu’elle continue à être habitée dans le même état d’esprit qu’à sa construction ?

 

Cathy Blanc-Reibel est rattachée au laboratoire Architecture, morphologie/morphogenèse urbaine, projet (Amup - Ensas) et à l’UMR 7367 Dynamiques européennes (DynamE). Sa thèse, intitulée « Les enjeux du patrimoine : le cas de la Neustadt à Strasbourg. Vers une mutation muséale de l’habitat urbain ? » est dirigée par Florence Rudolf et Sandrine Glatron.

2 La candidature de Strasbourg sera examinée lors du 41e Comité du patrimoine mondial en juillet 2017.

© Pascal Bastien
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La rue de l'Université, qui jouxte le campus impérial. © Pascal Bastien
La rue de l'Université, qui jouxte le campus impérial. © Pascal Bastien
© Pascal Bastien
© Pascal Bastien
 

L’histoire de la nouvelle ville

Le Traité de Francfort solde la guerre de 1870 et entérine l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand. Strasbourg devient alors la capitale d’un nouvel état de l’Empire, le Reichsland Elsass-Lothringen. Forte de ce nouveau statut, la ville est étendue de 1880 jusqu’à la Première Guerre mondiale, sur les plans de Jean-Geoffroy Conrath,?son architecte en chef. Cette « nouvelle ville », Neustadt en allemand, fait tripler la superficie de Strasbourg et plus que doubler la population. Témoignage de l’architecture et de l’urbanisme germanique impérial dont il reste peu d’exemples, y compris en Allemagne, ce quartier est également le symbole de la double culture de Strasbourg, ville qui a été allemande et française.

Edern Appéré