Quand on évoque le campus historique de l’Université de Strasbourg, le Palais universitaire et les instituts qui l’entourent viennent à l’esprit. Mais qui sait qu’un buste égyptien trône sur la façade de l’un de ces bâtiments ?
En 1871, au lendemain de la guerre franco-prussienne, l’Empire allemand a de grandes ambitions pour Strasbourg. La ville doit devenir la capitale du land d’Alsace-Lorraine et l’université, une vitrine scientifique et intellectuelle. Ce projet politique d’envergure passe par la construction d’un campus où chaque discipline se voit dotée d’un bâtiment dédié, qui répond aux conditions de formation et de recherche idéales pour l’exercice des sciences expérimentales.
L’emblématique Palais universitaire, les instituts de chimie, physique, botanique et l’Observatoire astronomique sont construits de 1877 à 1884 et décorés de frontons et d’ornementations remarquables, dans un style néo-classique inspiré par la Renaissance italienne.
La façade sud de l’Institut de chimie1, qui donne sur le jardin de l’université, présente un fronton triangulaire avec, en son centre, une allégorie féminine de la chimie, tenant dans sa main une cassolette fumante. À ses côtés, une femme et un homme portent les instruments nécessaires à la pratique de la chimie : pipettes et alambics. Le tout est surmonté d’un étonnant buste égyptien, sans doute la sculpture la plus originale du campus. « On imagine qu’il s’agit d’une référence aux premiers embaumeurs, qui avaient besoin de maîtriser la chimie pour leur travail de momification », explique Delphine Issenmann, chargée de l’inventaire et des collections au Jardin des sciences.
« Une allégorie de la maîtrise des éléments naturels par la science physique »
Sur la façade sud de l’Institut de physique, quatre tableaux représentent des putti, petits angelots nus, au contact des quatre éléments naturels décrits par Aristote : l’eau, la terre, le feu, le vent. Pour Delphine Issenmann, on peut y voir « une allégorie de la maîtrise des éléments naturels par la science physique ». La face occidentale est également pourvue d’un couronnement triangulaire qui représente les trois domaines de la physique alors enseignés : l’acoustique, l’électricité et l’optique.
Le fronton de l’Institut de botanique2, situé sur la face orientale du bâtiment, comporte une figure féminine centrale qui donne à boire à une femme asiatique, d’une part, et nourrit un homme noir, d’autre part. « On peut interpréter ces sculptures à l'aune du mouvement colonialiste de l'époque : la science botanique abreuvant les colonies », indique Delphine Issenmann.
Outre une valeur esthétique et ornementale immédiatement perceptible, ces sculptures possèdent d’autres fonctions. Informative, tout d’abord : ces éléments de décors symbolisent les sciences propres à chacun des instituts. Elles permettaient également de mieux identifier où se trouvait l’entrée ou la façade principale du bâtiment.
Les archives de l’université ne permettent pas de retracer la commande de ces sculptures, ni le nom de leurs auteurs.
Jusqu’à présent, les documents sur la construction du campus retrouvés dans les archives de l’université ne permettent pas de retracer la commande de ces sculptures, ni le nom de leurs auteurs. « Des documents, en langue allemande, existent sans doute, soit sous forme dactylographiée, soit sous forme manuscrite en gothique, plus difficilement exploitable », précise Delphine Issenmann. Cet aspect méconnu de notre patrimoine universitaire demeure un terrain à explorer pour connaître précisément les significations voulues par les architectes du campus. Un sujet tout trouvé pour une future thèse en histoire de l’art ...
Edern Appéré
1 L'Institut de chimie abrite l'actuelle Faculté de psychologie.
2 L'Institut de botanique héberge aujourd'hui la Faculté de sciences de l'éducation, la Faculté de philosophie, le Musée de sismologie et le nouvel Institut de botanique.