Suppression du numerus clausus, de la Pacés* et du concours national, création d'une nouvelle faculté et d'une licence en sciences de la santé... La réforme des études de santé est ambitieuse et d'envergure. Elle suit son cours en dépit de l'épidémie de coronavirus pour que tout soit prêt à la rentrée 2020. Le point avec un des maîtres d’œuvre, Jean Sibilia, doyen de la Faculté de médecine.
Pouvez-vous nous expliquer les objectifs et les enjeux de cette réforme des études de santé ?
Je voudrais tout d'abord rappeler que nous avons quatre réformes en cours : celle du 3e cycle qui concerne un millier d’étudiants ; l'intégration des métiers paramédicaux à l’université (soins infirmiers, orthophonie, kinésithérapie...) qui aboutira fin 2020 avec la création d'une nouvelle Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé (voir ci-après) ; la réforme du 1er cycle et celle du 2e cycle.
Concernant la réforme nationale du 1er cycle, elle a trois objectifs. Le premier est d'améliorer la réussite des étudiants. Le système précédent présentait un défaut d'accompagnement flagrant : rien n'était organisé pour ceux qui échouaient au concours après deux ans. C'était un véritable gâchis étudiant car la plupart sont de très bons élèves motivés. Nous voulons aussi diversifier les profils et permettre à tous d’accéder aux études de santé. Le recrutement des étudiants doit être revu pour accroître la diversité sociale, et ne pas se limiter aux bacheliers S avec mention bien et très bien. Nous avons besoin de grands chercheurs et scientifiques mais aussi de médecins de campagne qui assurent avec détermination et bienveillance les soins de proximité. Enfin, sur le plan pédagogique, nous devons revoir les programmes et les modalités d'évaluation de cette première année de Pacés, très critiquée, en apportant une ouverture d’esprit pleine d’humanité tout en conservant des enseignements médico-scientifiques rigoureux.
Quels sont les grands changements qui vont permettre de répondre à ces besoins d'évolution ?
Nous avons réussi, à Strasbourg, l’une des plus belles offres d'études de santé de France.
Le numerus clausus et le concours national de la Pacés sont supprimés. À Strasbourg, nous créons une licence Sciences de la santé originale, une licence Accès Santé (L. AS) avec 11 parcours différents pour permettre à une plus grande diversité de lycéens d'accéder aux études de santé. Ces 11 parcours vont du droit aux sciences de la vie (voir ci-contre), grâce au large panel de disciplines de notre université. Ils comportent tous un corps d'enseignements orientés vers la santé, hérité de la Pacés, des enseignements disciplinaires spécifiques au parcours et des enseignements transversaux (langues, sciences humaines et sociales...). Ainsi, un étudiant qui réussit mieux en sciences humaines peut accéder aux études de santé par des parcours plus adaptés à ses compétences. Il ne sera pas sélectionné sur sa seule réussite en maths et physique.
Cette première année sera assurée par la nouvelle Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé qui verra le jour fin 2020 et accueillera près de 10 000 étudiants. Ceux qui ne seront pas sélectionnés pour la deuxième année en médecine, maïeutique, dentaire ou pharmacie, pourront poursuivre dans les autres facultés de l'université, en deuxième année de sciences sociales, chimie, etc. Ils s’inscriront donc en licence de la discipline qu'ils ont choisie dans leur parcours en 1ère année, ce qui sera un facteur de réussite et d’intégration universitaire innovant.
Je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusement tous les collègues des autres composantes, nous avons accompli un magnifique travail collaboratif. Nous avons réussi, à Strasbourg, l’une des plus belles offres d'études de santé de France. Cela est reconnu par tous, notamment le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui nous a attribué des moyens conséquents. Je suis heureux de cette réussite collective.
Le mode de recrutement et de sélection des étudiants pour poursuivre en études de santé va-t-il aussi radicalement changer ?
Oui. À l’issue de la première année, les étudiants seront sélectionnés sur dossier pour les meilleurs d’entre eux, et après un oral d’admission pour les autres. Ce mode va nous permettre de les recruter en fonction de leur savoir-être, de leur motivation et de leur projet professionnel. Cette première année aura une capacité de 1 500 étudiants qui intègreront l’un des 11 parcours après leurs vœux sur Parcoursup.
Quel sera l’impact à terme de cette réforme sur le système de santé ?
Cette évolution devrait répondre en partie à la problématique des déserts médicaux
Cette évolution devrait répondre en partie à la problématique des déserts médicaux, mais dans un délai de dix ans. Le numerus clausus était trop serré. À partir de 2020, les effectifs seront fixés localement par l’université et l’ARS (Agence régionale de santé), ce qui sera beaucoup plus efficace. On ne va pas doubler les effectifs, mais ils vont augmenter sensiblement. J’estime de 10% à 15% le besoin de médecins supplémentaires pour les cinq prochaines années.
Nous avons bien réussi cette première étape. Nous ferons un premier bilan dans trois à cinq ans pour évaluer la réussite globale de ce nouveau dispositif, mais nous ne verrons véritablement les résultats que dans dix à quinze ans, quand ces étudiants commenceront à exercer. Nous formons une nouvelle génération de médecins et de soignants pour améliorer notre système de santé de demain.
Propos recueillis par Stéphanie Robert
Jean Sibilia a participé à la réflexion nationale pour la conduite de cette réforme en tant que président de la Conférence des doyens de médecine de 2018 à 2020, associé à Corinne Taddéi-Gross, doyenne de la Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg et présidente de la Conférence des doyens des facultés d’odontologie et à Jean-Pierre Gies, doyen de la Faculté de pharmacie.