août 2021

« Apporter la connaissance pour lutter contre l’obscurantisme »

L’assassinat en octobre dernier de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, a mis en lumière une difficulté rencontrée par beaucoup d’enseignants : comment aborder les sujets dits sensibles en classe ? Eléments de réponse avec Étienne Schneider (1) qui forme les futurs professeurs à l’Inspé (2), après avoir lui-même enseigné dans le second degré.

Étienne Schneider, enseignant en histoire-géographie et en enseignement moral et civique à l’Inspe.

Comment viennent les sujets sensibles en classe ? Quels sont-ils ?

Il arrive parfois que l’actualité s’invite dans la classe : attentats terroristes, coup d’État, scandale de la pédophilie dans la religion catholique. Mais les sujets sensibles viennent le plus souvent par le biais des thématiques abordées en cours. C’est pourquoi, bien qu’ils ne soient pas les seuls, les professeurs d’histoire y sont souvent confrontés : génocides, guerres, colonisation, croisades, traite négrière, esclavage... Les sujets sensibles ne manquent pas.

Ce qui les rend sensibles, c’est que les élèves font parfois un lien très direct entre ces faits historiques et le présent. Par exemple, beaucoup d’élèves issus des populations émigrées des pays autrefois colonisés, pensent que leur place dans la société d’aujourd’hui découle directement de la colonisation.

Comment aborder ces sujets en classe ?

Les aborder demande du tact et parfois réellement du courage. La tentation de l’autocensure peut être grande, je l’ai moi-même vécue au début de ma carrière. Beaucoup d’enseignants, notamment quand ils sont jeunes, ne se sentent pas la légitimité d’aborder certains sujets. Les génocides, par exemple, sont dérangeants pour l’humanité toute entière. Personne n’est à l’aise avec ça, spécialement à un peu plus de 20 ans…

L’autre frein tient au fait que l’enseignant se sent souvent seul devant sa classe, puis devant les parents qui peuvent demander des comptes. C’est encore plus vrai dans le premier degré, où il n’y a pas de supérieur hiérarchique.

Justement, comment préparez-vous les futurs enseignants à se confronter à ces situations ?

La première des préparations, c’est d’être conscient que les sujets sensibles existent et les anticiper. Je travaille avec les étudiants sur des cas concrets puisés dans mon expérience ou rapportés par des enseignants déjà en activité. Les cas sont décortiqués et analysés. Si on pressent un sujet sensible en histoire, la bonne technique est de revenir aux faits et d’utiliser des sources appropriées. Par exemple, on peut montrer aux élèves qu’entre le XIIe et le XIVe siècle, il n’était pas sacrilège de montrer le visage du prophète, qui est représenté sur des fresques murales dans le Califat de Bagdad ou dans l’Empire ottoman. Ainsi, ils prennent conscience que les « croyances » peuvent s’interpréter différemment en fonction des époques et des lieux.

Les enfants comprennent beaucoup de choses si on les leur explique, ils sont en construction, leur esprit est ouvert

De manière générale, les enfants comprennent beaucoup de choses si on les leur explique, ils sont en construction, leur esprit est ouvert. Quand on enseigne les croisades, ils comprennent que les appels à la « guerre sainte » sont en fait une justification à la guerre, qui n’a rien à voir avec la religion. L’accès aux connaissances peut les aider à remettre en question des idées reçues véhiculées dans leur entourage. En fait, il faut revenir à la philosophie des Lumières : apporter la connaissance pour lutter contre l’obscurantisme.

1 Enseignant en histoire-géographie et en enseignement moral et civique à l’Inspe depuis dix ans. Il a également été professeur d’histoire-géographie en collège et lycée pendant neuf ans.

2 Institut national supérieur du professorat et de l’éducation.

Propos recueillis par Caroline Laplane