février 2018

Jeunes pousses en croissance

Chaque année, le concours i-Lab récompense des entreprises de technologies prometteuses. Cette année, deux startups strasbourgeoises, RiboStruct et Alms-Therapeutics, font partie des lauréats. Retour sur ce tremplin et leur parcours, du laboratoire à l’entreprise.

De gauche à droite : Mélanie meyer, chercheur chez RiboStruct et les trois cofondateurs de la strat-up, Jean-Paul Renaud, Gulnara Yusupova et Marat Yusupov. Crédit : Pascal Bastien.

« C’est une reconnaissance qui, je l’espère, pourra nous aider à convaincre les investisseurs », se réjouit Jean-Paul Renaud, cofondateur et président de la start-up RiboStruct, lauréate du concours i-Lab 2017 en catégorie création développement. L’apport financier du concours a permis à la jeune pousse, déjà récompensée en 2014 en catégorie émergence, de réaliser une première embauche. « Il nous reste désormais à finaliser notre levée de fonds pour pouvoir financer notre programme de R&D et aboutir à un candidat médicament au bout de quatre ans », détaille son président.

Soigner des maladies génétiques

RiboStruct ambitionne de soigner diverses maladies génétiques causées par des mutations non-sens via un traitement générique ciblant le ribosome, l’usine à protéines de nos cellules. La stratégie : développer des molécules permettant d’aider le ribosome à produire une protéine entière et fonctionnelle même quand le gène comporte une erreur. En principe, une même molécule pourrait permettre de soigner un certain nombre de maladies génétiques. Ce projet repose sur le savoir-faire acquis par les équipes de Gulnara Yusupova et Marat Yusupov. Ces deux chercheurs de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC), également cofondateurs de l’entreprise, sont en effet passés maîtres dans l’art de cristalliser le ribosome et de déterminer sa structure de manière très précise.

Valoriser le savoir-faire scientifique

Déjà cofondateur de la société NovAliX et ancien chercheur de l’IGBMC, en mise à disposition par le CNRS, Jean-Paul Renaud n’a pas hésité à rejoindre leur équipe pour les aider à valoriser leurs compétences. « Grâce à ce savoir-faire, on peut vérifier expérimentalement comment nos molécules interagissent avec le ribosome. » Un vrai plus compétitif qui a décidé le chercheur à l’âme d’entrepreneur à s’engager dans une nouvelle aventure et à s’y investir totalement. « C’est très enrichissant de se lancer dans la création d’une entreprise. J’ai énormément appris sur le monde industriel, même si pour cela j’ai dû faire le deuil de mon activité de chercheur. » Jean-Paul Renaud admet qu’il faille faire preuve d’une pointe d’inconscience au départ pour tenter le pari de l’innovation, toujours associé à une part d’incertitude, mais tient à rassurer : « En Alsace, il y a un très bon environnement institutionnel qui permet de guider, aider et soutenir les candidats créateurs. Nous avons besoin de personnes dont le métier repose sur la connaissance de l’entreprise et de ses besoins. »

En Alsace, il y a un très bon environnement institutionnel qui permet de guider, aider et soutenir les candidats créateurs

Un avis que partage Vincent Marion, dont les recherches sur l’intolérance au glucose et le diabète de type 2 ont conduit à la création de la start-up Alms-Therapeutics, récompensée cet été par le grand prix du jury à l’issue du concours i-Lab. « Il faut malgré tout apprendre à parler le même langage, nuance-t-il. Car une incompréhension ne tient parfois qu’à une abréviation. »

Savoir regarder ailleurs

Tout comme une innovation ne tient parfois qu’à la faculté de sortir des chemins battus. En étudiant le syndrome d’Alström, une maladie rare qui se caractérise notamment par une intolérance au glucose se manifestant dès l’âge de cinq ans, Vincent Marion s’est rendu compte que le tissu adipeux n’absorbait plus du tout de glucose. Il découvre ensuite la dernière étape du mécanisme déclenchant son absorption dans les adipocytes et développe un peptide à même de restaurer la bonne marche du processus dans les cellules malades. Mieux, quand ce peptide est injecté in vivo dans le tissu adipeux, il rétablit une glycémie normale. Fort de cette découverte, le chercheur propose, lors d’un congrès au Montana en 2015, de traiter le diabète de type 2 en ciblant le tissu adipeux. Pour ses pairs, Vincent Marion se trompe de cible : le tissu adipeux n’absorbe que 20% du glucose quand le foie et les muscles en absorbent 70%.  « En fait, lorsque l’on soigne le tissu adipeux, celui-ci se met à libérer des médiateurs qui vont parler au foie, aux muscles, à l’intestin, à l’estomac, etc. En retour, ces organes absorbent du glucose », explique Vincent Marion. Sûr de lui, le chercheur décide de ne rien publier, préférant breveter et s’adresser aux industriels. S’ensuit un incessant échange de questions-réponses et un gros déficit de sommeil. « Créer une start-up, c’est découvrir une composante d’aspects juridiques, financiers, scientifiques, corporate, venture et même humains. Ce n’est pas de tout repos mais cela ouvre l’esprit. » Un parcours qu’il ne regrette pas. « Aujourd’hui, on a la chance extrêmement rare d’avoir 15 millions d’euros d’investissement qui vont nous permettre d’aller en phase clinique. » Les résultats sont déjà prometteurs : une injection de peptides chez une souris diabétique suffit à réguler sa glycémie pendant six mois.

Ronan Rousseau

i-LAB

Le Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, existe depuis 1999. Il est né de la volonté du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation d’encourager l’esprit d’entreprendre, en particulier auprès des jeunes de l’enseignement supérieur, de renforcer le soutien à la création d’entreprises innovantes et de mieux accompagner le développement des start-up. Il aide les projets de création d’entreprises de technologies innovantes, tous secteurs confondus. En 19 ans, il a permis la création de plus de 1 800 entreprises : 70 % sont encore en activité et plus de la moitié sont issues de la recherche publique.

Innover… comment ?

« Bien que je travaille maintenant du côté de la recherche appliquée, je suis un ardent défenseur de la recherche fondamentale. Il faut que les institutions continuent de la soutenir, insiste Jean-Paul Renaud. C’est dans l’intérêt des industriels et de la société. Programmer la recherche, c’est assécher l’innovation. »
« Si j’avais suivi l’establishment scientifique, je n’aurais jamais ciblé le tissu adipeux pour développer un traitement thérapeutique contre le diabète de type 2, souligne Vincent Marion. Selon moi, chaque innovation impose de changer de perspective et de remettre en question ce que l’on croit savoir. Il faut savoir apprendre des autres tout en refusant une pensée unique. »